Si vous ne le savez pas encore*, les Etats-Unis ont décidé quelques jours après la tentative d’attentat ratée d’Umar Farouk Abdulmutallab, passager du vol Amsterdam-Detroit du 24 décembre 2009, de modifier la liste des pays « terroristes« .

On a appris alors que la nouvelle liste comprenait désormais 14 pays – quatre pays (Cuba, Iran, Soudan et Syrie) considérés comme des Etats « promouvant le terrorisme » et 10 autres considérés comme « d’un intérêt particulier« , c’est-à-dire « à surveiller de près« .

Donc, toutes les personnes voyageant depuis (ou en transit) ces 14 pays ci-dessous – Cuba, Iran, Soudan, Syrie, Afghanistan, Algérie, Irak, Liban, Libye, Nigéria, Pakistan, Arabie saoudite, Somalie et Yémen – devront être fouillées au corps, passer dans des scanners spéciaux pour détecter toute substance explosive et soumettre leurs bagages à main pour inspection.

On constate tout de suite que deux de ces pays ont une frontière commune avec le Kenya (le Soudan et la Somalie) et en faisant une synthèse des évènements survenus au Kenya ces derniers mois (sériés ci-dessous), on peut arriver à la conclusion que le Kenya fait surement « officieusement » parti de cette liste.

Et pourquoi pas le Kenya ??

• Le Kenya a une frontière commune avec la Somalie et le nombre de somaliens présents au Kenya ne cesse de grandir.  On peut dire qu’il y a entre 0.5 et 1 million de somaliens kényens (somaliens de nationalité kényenne) et on peut ajouter à ce chiffre entre 300 000 et 450 000 somaliens réfugiés/exilés au Kenya.  La plupart des Somalis du Kenya vivent dans la ville de Garissa (à l’est du pays) et les Somalis de Nairobi vivent dans le quartier d’Eastleigh;

• Le Kenya a déjà connu deux attaques terroristes, une sur l’Ambassade des Etats-Unis en août 1998 et un autre sur un hôtel et avion israëliens en novembre 2002 ;

• Les frontières restent de vraies passoires et ce malgré les efforts menés ces dernières semaines par le gouvernement kényens, avec l’appui des somalis du Kenya qui ne souhaitent pas voir leur peuple vivent sous l’emprise de groupes terroristes, pour y contrôler activement l’entrée de potentiels islamistes ou terroristes;

• Le gouvernement Kibaki a toujours été pro-américain (accord avec l’armée américaine, base américaine près de Lamu et de la Somalie, arrestation de musulmans et nouvelle loi anti-terrorisme, intervention américaine en Somalie, etc.). Et depuis peu, la position de certains politiciens souhaitant que l’armée kényenne intervienne en Somalie et le renforcement de la frontière avec des tropes armées et des chars ont été très mal acceptés par certains islamistes radicaux;

• Il y a eu une tentative d’attentat lors de la visite de la Secrétaire d’état Hillary Clinton en août 2009.  Les autorités kényennes ont arrêté cinq suspects, quatre personnes de fausse nationalité kényenne et un somalien avec un passeport danois. Le plan des radicaux islamistes d’Al-Qaeda était de se lier avec la faction somalienne Al-Shabaab, largement présente sur Nairobi, pour faire exploser une bombe dans l’hôtel où se trouvait Mme Clinton ainsi que deux autres bombes, une à l’arrêt de bus et l’autre à l’hôtel adjacents;

• La plupart des rançons touchées par les pirates somaliens reviennent dans les mains de  puissants Somalis habitant Nairobi;  il semblerait d’ailleurs que tout soit géré à partir de Nairobi.  Le gouvernement a même du changer la loi concernant l’achat de biens immobiliers pour empêcher les Somalis de racheter tout Nairobi, et en cash s’il vous plait !!  Tout se passe ici, même les pirates arrêtés sont jugés au Kenya.

• La personne qui a tenté de tuer le mois dernier le dessinateur danois ayant représenté Mahomet portant un bombe dans son turban, Kurt Westergaard, était un somalien vivant au Kenya avec un passeport danois (et oui, le même qui avait été arrêté par les autorités kényennes peu après la visite d’Hilary Clinton, voir ci-dessus);

• Plusieurs articles de presse ont démontré que des insurgés somaliens d’Al-Shabaab essayent continuellement d’enrôler des Somalis de nationalité kényenne, la plupart de Garissa; d’après quelques témoignages, il semblerait que les nouveaux enrôlés sont payés 600 dollars par mois et sont ensuite envoyés dans des camps d’entraînement.

Le Kenya et le problème d’Abdulla-al-Faisal !

En lisant ceci, on comprend pourquoi les autorités kényennes sont sur le qui-vive et on peut donc aussi comprendre pourquoi l’imam jamaicain Abdulla al-Faisal a été arrété le 31 décembre 2009, juste après sa prière du soir, dans une mosquée dans la ville de Mombasa.

Abdulla al-Faisal, qui a passé quatre ans en prison au Royaume-Uni pour incitation à la haine raciale, est entré dans le pays en passant la frontière tanzanienne.   Il effectué une tournée africaine et avait déjà visité plus de huit pays africains – dont le Nigéria, l’Angola, le Mozambique, le Swaziland et le Malawi – et prié dans plus de 300 mosquées et à peine arrivé au Kenya, il est arrêté !! Les autorités ont déclaré que son visa touriste ne l’autorisait pas à prêcher !

Et voilà, directement à la case prison !  Le Kenya ne veut pas de lui ici !! Les pays frontaliers (Tanzanie, Ouganda) ne veulent pas de lui !  Hors de question qu’il aille en Somalie !

Alors, le gouvernement organise son retour à la maison, en Jamaïque !  Mais, problème, il n’y a pas de vol direct donc un transit via la Gambie et le Nigéria est requis et badaboum, la compagnie aérienne a refusé de transporter l’imam, le jugeant dangereux !

Retour à la case départ (ou du moins en prison)…  Et voilà, l’imam est toujours en prison…  Et la plupart des pays ont interdiction de faire embarquer l’imam dans un avion, le considérant potentiellement dangereux.

La solution finale, faire voyager M. Al-Faisal dans un avion privé !  Cela a coûté près de 40 millions de shillings au gouvernement mais au moins il a quitté le pays afin que Nairobi brûle !!

Dégénérescence des relations entre musulmans et le Kenya

Pour protester contre cette arrestation, la jugeant discriminatoire, les musulmans avaient organisé une manifestation vendredi 15 janvier près de la mosquée de Nairobi.  Mais malheureusement, la manifestation a dégénéré (comme d’habitude) faisant 5 morts, donc un policier.  On notera cependant que lors de la manifestation, plusieurs jeunes avaient soulevé le drapeau de la faction d’Al-Shabaab, ce que le Ministre de l’intérieur n’a pas du tout apprécié.

Et le dimanche suivant, la police a organisé un immense raid dans le quartier d’Eastleigh pour renvoyer les somaliens n’ayant pas de titre de séjour.  Durant ce raid, plus de 300 somaliens ont été arrêtés.

La tension monte entre somaliens et kényens…
Puis il y a encore 400 arrestations dans les provinces du pays.

En réponse à ces arrestations, les islamistes somaliens d’Al-Shabaab ont chanté ceci :

Nous avons atteint la frontière, nous entrerons au Kenya, si Dieu le veut, nous entrerons au Kenya,

Quand nous serons arrivés nous nous battrons, nous tuerons, nous avons des armes, suffisamment d’armes. L’armée de la foi est en route, nous avançons doucement, si Dieu le veut, nous y parviendrons« ,

Et la semaine suivante, cinq bombes artisanales ont été retrouvées dans des matatus à Nairobi, Nakuru et Isiolo.

Et pendant ce temps, d’autres somaliens d’Al-Shabaab démentent les menaces d’attaques terroristes, tenant un peu ce discours: « le Kenya est un des seuls pays d’Afrique qui a continuellement aidé et accueilli les somaliens réfugiés« , donc le Kenya est un peu un frère et mener des attaques contre son frère n’est pas très musulman.

Ouf !!!**
 

*C’est toujours pareil, lorsque je commence un article et le laisse en suspend pendant quelques jours, je suis vite dépassé par les évènements… et des évènements, il y en a pas mal ces derniers jours à Nairobi….  Pffouuuh…
**Cet article était long et pénible…. Pffouuuh…